jeudi 8 décembre 2016

La Traversée

Demain lundi 14 novembre je pars pour la traversée 17/20 jours de mer que j'espère cléments. Atterrissage prévu sur l'île de la Guadeloupe
À bientôt sous le soleil des Antilles

Et je suis arrivé  le lundi 4 décembre après 21 jours de traversée oui c'est pas très rapide mais à part 3 jours à 15/18 N pas beaucoup de vent.  Un peu de moteur et pas mal de SPI.
Pas de casse et arrivé en pleine forme, Mousse aussi qui s'est régalée avec les daurades coryphènes.
Alors comment ça c'est passé ? 

La traversée de l’atlantique à la saison des fameux Alizés est aujourd’hui à la portée de beaucoup de plaisanciers. Les moyens modernes de localisation (GPS, balises de détresse) et de réception météo (iridium) rendent plus accessible la navigation hauturière.

C’est bien pour cela qu’on est de plus en plus nombreux à pratiquer cette transhumance. Il y a quelques jeunes qui partent avant de commencer une vie professionnelle, des jeunes couples avec ou sans enfant, qui font une pause et qui rentreront au bout d’un an, quelques courageux ou  inconscients qui ont largué totalement les amarres et puis beaucoup de seniors qui profitent de leur retraite. Donc tout ce petit monde va s’élancer vers les Antilles ou vers le Brésil, souvent assez tôt pour être à la Noël de l’autre côté. Cela fait du monde et la première semaine plusieurs voiliers m'ont dépassé.
Bien sûr je savais qu’en partant mi-novembre (moi aussi je voulais être de l’autre côté avant que Christine et Lucas débarquent pour les vacances de noël) l’Alizé ne serait peut-être pas encore tout à fait là mais peu importe en solitaire c’était aussi bien pour moi qu’il ne soit pas trop fort.
Dans l’ensemble des 21 jours les alizés n’ont jamais vraiment été établis ils ont soufflé (quand ils soufflaient) en moyenne à 10N, j’ai eu seulement pendant 2/3 jours du 15/18 N.


Ce qui se traduit par quelques heures de moteur quand le vent n’est plus assez fort et que la houle vient bousculer le bateau et fait claquer les voiles qui n’aiment pas du tout ça et moi non plus. Çà secoue tout le gréement et les voiles se déforment et vieillissent bien plus vite.
Mais aussi et c’est bien plus agréable beaucoup de SPI, 1/5ème du temps de la traversée et parfois la nuit surtout au début et encore j’avais un peu peur des grains la nuit (surtout la dernière semaine) sinon il serait resté beaucoup plus en l'air car avec du vent à 10 n dans les fesses on ne va pas très vite.


En fait la vitesse pour moi ce n’était pas une obsession tant que le bateau glissait bien dans une mer sans houle même à 3 N. Bien sûr on met plus de temps mais si on est sur un voilier il faut accepter les conditions de vent et l’état de la mer.  
Les journées de ma traversée:
En fait cela passe vite, c'est toujours les deux ou trois derniers jours qui sont plus longs car on calcule et recalcule son heure d'arrivée.
 Donc entre les manœuvres des voiles, le réglage du régulateur pas toujours évident avec si peu de vent, la pêche, les repas, le bain.....il restait encore beaucoup de temps pour la lecture et l'écriture. J’ai lu pas mal, lu et relu les classiques livres de mer sur Moitessier, Les Damiens…


La pêche,
J'ai deux lignes de 35 m environ que je peux laisser traîner dernière le bateau.
Le bas de ligne est fait avec un petit câble d'acier au bout duquel est fixé un leurre terminé par un gros hameçon double. Parfois il faut  remplacer  les leurres emportés par de trop gros ou vigoureux poissons,


 La mise en place des lignes se fait le matin (elles sont  relevées le soir), mais il faut un peu les surveiller, les remonter quand elles sont emmêlées ou quand il  y a des herbes. Et quelques fois les remonter car là-bas à 30 ou 40 m un poisson sort de l'eau, il m'est  arrivé de prendre deux poissons en même temps, (c'étaient de petites dorades et les lignes étaient bien emmêlées). Quand tout se passe bien et que le poisson est remonté à bord, il s'agite bien sûr et donne des coups de queue et met  pas mal de sang dans le cockpit,  je lui tranche la tête assez vite pour abréger son agonie. Dans la foulée il est vidé, nettoyé et je lève les deux filets que je lave bien à l'eau de mer puis hop vite au frigo, il est cuit le soir même. Bien sûr, Mousse est très intéressée et est au première loge, elle  a droit à une première part.




 Pendant la traversée j'ai pêché 6 daurades coryphènes donc 2 belles de  70 et 80 cm. Les lignes n'étaient pas tous les jours à l'eau car une belle daurade nous faisait bien deux jours mais on ne pêchait pas non plus chaque fois que les lignes étaient à l'eau. On s'est quand même bien régalés, Mousse et moi.
Le pain:
Comme il est difficile de garder du pain plus de 4/5 jours on fait du pain, tout le monde fait son pain pendant la traversée.
Les autres années on pétrissait la boule de pain pendant de longues minutes.Aaujourd’hui fini: un peu de farine; du sel; de la levure; un peu d'eau dans un saladier on tourne avec un cuillère en bois et quand la pâte est homogène on met le tout dans un moule à cake, ça lève pendant 1 bonne heure et hop au four 45mm. Simple, rapide et réussi. Pour la recette exacte voir la page "pain" Lucas voulait faire du pain au Cap Vert et il a employé cette recette et depuis je fais comme ça et ça marche. J'ai fait trois pains pendant la traversée tous réussis et tous excellents



Les repas:
Le matin de bonnes tartines de bon pain avec du beurre en boite acheté au Cap Vert, de la confiture maison, café et une orange, les vertes du Cap Vert sont excellentes.
Le midi  c'était plutôt salade ou crudités au début fraîches et après en boite.
Le soir je cuisinais, poisson riz, omelette, pâtes Jambon en boite très bon et quelques boites de Gilles qui sont très bonnes,  mais en fait très peu de plat préparé en boites  du commerce.
J'ai aussi  pas mal écrit:(Mousse a essayé)

 Le carnet de bord c'est obligatoire et très important pour relater les événements et pour ne pas être complètement perdu si une grosse panne électrique survient et vous prive  de vos instruments ( j'ai un GPS à pile de secours), on inscrit heure, positions ,Cap, vitesse, vent, voilure... et en plus je notais sur un cahier de façon détaillée les événements  de la journée.
Mais après:
Parce que j’étais seul et que personne pouvait me distraire.
Parce que j’avais du temps de libre et que je n’avais rien d’autre à faire.
Et aussi parce que j'étais détaché de ces choses qui autrefois encombraient mon esprit .
Et puis quand on est en mer, on rêvasse et la contemplation de l’océan où le regard peut se porter loin, la pensée vagabondait jusqu'à l’horizon sans rencontrer obstacle, on se sent  libre comme l’air et  c'est propice à la méditation. Il faut être bien installé et là si l’écriture peut suivre la pensée cela peut donner des pages assez bizarres, pour moi elles sont exceptionnelles.


Petit exemple.
10è me jour de la traversée, seul au monde?
Je me tourne, me retourne, j'ai beau regarder de tous les côtés; rien. Et pourtant ce n'est pas du vide,  c'est rempli d'eau et cette eau salée est sûrement vivante, elle frissonne, ondule, se creuse et parfois même elle déferle. Là, depuis quelques jours elle est calme,  elle frissonne mais elle est aussi parcourue par de petites ondes qui passent, qui se croisent, qui ont plusieurs origines et parfois elle bouscule même un peu Blue Mad mais elles ont cette grâce et ce côté majestueux qui fait que l'on ne peut s'empêcher de les admirer pendant des heures. Quand la mer est calme et reposée on dirait une respiration, mais elle est vivante, elle respire!
Mais bien sûr quelle est vivante, idiot!
 Elle peut aussi vite se fâcher quand le vent souffle fort, et se creuser et alors les ondulations deviennent des vallées que Blue Mad aime bien surfer; c'est beau, très beau mais attention quand cela devient impressionnant on arrête de jouer.  La mer ne joue pas, ne rigole pas, c'est du sérieux.
Tiens,la-bas posés sur l'horizon tous ces nuages, ils semblent immobiles et quelconques mais  si on les observe  intensément on peut y voir une fresque retraçant les combats des Dieux de l'Olympe.


Autre jour:
En ce énième jour de la traversée, l’océan est sage, parcouru par une houle désordonnée mais douce. L’eau «frisette» et pas un mouton à l’horizon. Blue Mad sous SPI essaie de tirer sa carcasse et de se glisser lentement, mille après mille vers cet horizon qui s’en cesse le fuit, il avance silencieux et fier, c’est dur, lent mais il accepte sa condition, c’est son boulot, ce pour quoi il existe. Le capitaine n’a pas d’autre choix lui, que de s’appliquer à bien régler les voiles pour que son compagnon d’infortune puisse avoir toutes les chances un jour de l’amener de l’autre côté, c’est son boulot, son job, ce pour quoi il semble fait. Aujourd'hui les conditions sont douces, ce n’est peut-être qu’un répit donc profitons avant que les éléments ne changent d’idée et ne se fâche en voyant se prélasser ce petit bateau blanc et bleu.
La vie se déroule au ralenti, chaque seconde dure des minutes, les heures s’étirent, paressent. Les journées ont du mal à passer, moi-même je marche au ralenti, mon cerveau rame, il me faut faire un effort pour écrire,  mon stylo est lourd sur ma feuille ….
Mais pourquoi faire autant d’effort pour combattre le temps, laisse-le s’écouler, t’emporter !
Oui laisse le dériver, flotter et t’amener dans cet espace temporel où tu n’es qu’invité, profite de ces instants pour faire marcher tes sens, pour faire le plein de cette sérénité qui t’est offerte.


Je suis là quelque part sur l’atlantique en train de traverser cet océan vers l'ouest toujours plus à l’ouest, mais le monde qui m’entoure sur 360° est pour moi seul, C’est mon monde, et il pourrait être là où là-bas n’importe où sur cette planète ou dans l’univers. Je suis le seul à y vivre et  je suis en voyage, Un voyage dans le temps,  pas de présent pas de futur ni de passé, dans le temps.
Un jour, l’heure viendra où je me réveillerai, je reprendrai ma place et  le cours de ma traversée, rien n’aura changé je serai toujours là au centre du monde, de mon monde, il est circulaire,un disque parfait tout bleu, bleu marine, chapeauté d’un ciel bleu, bleu ciel, où de petits nuages blancs flottent et cet horizon toujours vide, cet horizon qui me fuit, pourtant mille après mille j'avance toujours plus vers l’ouest, en suivant la course du soleil !
Mais je suis confiant, je sais qu’un jour là,  posé sur cet horizon tout là-bas à l’ouest une petite masse sombre apparaîtra .Heure après heure elle va grossir, lentement,l’approche sera longue, il me faudra la journée pour bien voir se dessiner ces contours, voir ces couleurs, mais ça y est, elle est là: on l’appellera « Désirade ».
PS : l’île de la Désirade est la première île que j’ai aperçue en arrivant, Marie Galante est plus basse, plus plate et je ne l'ai aperçue que lorsque j'en étais tout près.



 





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